Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Flûte de Paon / Livre-sse livresque
14 février 2022

"L'abolition des privilèges" de Bertrand Guillot

L'abolition des privilèges de Bertrand Guillot

Source: Externe

Résumé :

C’est un État en déficit chronique, où les plus riches échappent à l’impôt. Un régime à bout de souffle. Un peuple à bout de nerfs, qui réclame justice et ne voit rien venir. Un pays riche mais bloqué, en proie aux caprices d’un climat déréglé. Telle est la France à l’été 1789. Jusqu’à ce qu’en une nuit, à Versailles, tout bascule. C’est la Nuit du 4 août.

Mon avis :

La couverture ne paye pas de mine, la petite maison d’édition n’est pas des plus engageante non plus, et pourtant voilà une des plus belles pépites 2022 que j’ai lu et que je serai probablement amener à lire. Bertrand Guillot signant ici un roman historique et documentaire des plus complets, et des plus agréables à lire par son érudition et surtout son humour finement ciselé.

Il est question dans ce livre de la nuit du 4 août 1789 qui vit l’abolition des privilèges en France. Dans les livres d’histoire elle ne fait généralement guère couler d’encre et les évènements sont condensés justement en cette unique date, faisant in fine oublier les acteurs, les débats, les oppositions, le temps et même tout le reste - on a dû se dire que ça ne devait pas passionner grand monde. Mais avec Bertrand Guillot, ses noms que l’Histoire n’a pas retenu vont ressortir des limbes, parce qu’ils ont été spectateurs de l’Histoire et de ses heures perdues ou longues.

Ce positionnement a un véritable but narratif. En effet, s’attarder sur ces gens et avec ces gens qui pensaient revenir vite chez-eux pour certains et prenez en prime à cœur leur tâche, sert avant tout à montrer aux lecteurs la difficulté de l’accord, le désespoir qui peut saisir les acteurs de l’évènement face à la lenteur, mais aussi à lui donner la possibilité d’être spectateur de ce temps où l’Histoire avance plus ou moins lentement pour finir en festival. Car que ça soit côté scène ou côté tribune, et je ne parle même pas des loges, du spectacle et des coups de théâtres il va y en avoir ! Toi lecteur qui lit ceci, prends du pop-corn en ouvrant ce livre, car après tant de siècle de distance tu vas assister à un véritable sketch. Certes, la plume de l’auteur n’y est pas pour rien dans cette impression divinement drôle qu’est l’évènement du 4 août et qui se dégage de ces pages, mais quand de surcroît tu vois des nobles ou des membres du clergé renoncer à des privilèges qu’ils n’ont pas, faut dire que ça ne manque pas de piquant aux yeux du lecteur. Tout comme quand tu découvres les paroles échangées entre députés et qui cachent mal un égo blessé, ou encore quand tu saisis la surenchère que chacun apporte par ses idées et ses refus, promettant après ce moment d’euphorie une belle gueule de bois à l’arrivée.

Vous l’avez sans doute compris, ce livre qui manie l’histoire et l’humour nous raconte la longue histoire de l’abolition des privilèges qui ne s’est donc pas faite en une nuit, et peut-être même un peu par hasard. Il nous fait découvrir également ces personnages qui ont raconté et participé à cet épisode, et qui assis sur des bancs durs comme de la pierre ont trouvé le temps long ou ont raté leur rendez-vous avec l’Histoire.

Mais croire que ce livre ne s’arrête que sur ces débats ou ces refus de débats - si certains sont prompts à abandonner leurs privilèges ou ceux du voisin, d’autres au contraire s’y accrochent -, c’est une erreur. En effet, ce bouquin va au-delà en s’attardant sur le climat du royaume, météo certes pourrie, mais je parlais surtout de celle du peuple. C’est-à-dire, de ce peuple qui a écrit des cahiers de doléance où dedans il existe encore un respect pour le roi (la fin de la monarchie ce n’était pas leur priorité), et qui demande entre autres choses l’impôt pour tous ou encore l’abolition de certaines taxes, mais sûrement pas la fin des privilèges. Certaines régions françaises possédant des privilèges sur lesquelles même le bas-peuple ne serait pas prêt de s’asseoir…
De cette immense foire revendicatrice, l’auteur va également s’en éloigner pour aborder dans le même temps l’esprit du royaume encore une fois incarné par la foule. Au bord de l’explosion et paniquée, comme l’indique la grande peur de l’été 1789, la Journée des Tuiles à Grenoble en 1788, ou encore la peur de la famine qui hantait les esprits du royaume étant donné que le blé manquait et qu’il était source de spéculation(s). Ainsi nous voyons donc et pour ceux qui l’avait oublié, que la prise de la bastille, que la réduction du pouvoir royal… ne résolurent pas les problèmes immédiats du peuple qui n’en a pas grand-chose à foutre d’une constitution, ou des virgules et des adjectifs d’un texte de loi (parce que oui, on est déjà chiant comme ça à l’époque). Ce que Louis XVI ne manquera pas de souligner. (Louis XVI est un personnage très contrasté.)

Mais si ce livre est un roman/récit sur un épisode de la Révolution Française dont certains parallèles avec l’actualité aident à mieux en comprendre l’enjeu et la profondeur, ces pages portent également un regard sur notre France actuelle. Oui les privilèges n’ont pas disparu le 4 août car à chaque régime ses privilèges, sans oublier ceux qui luttent avec véhémence pour en réclamer des nouveaux comme l’interdiction du droit au blasphème par exemple. Enfin en filigrane, il dénonce cette bureaucratie française - déjà ancienne - qui enlise dans des débats stériles le pays par ses pinailleries et sa rigidité - pas encore cadavérique mais pas loin. Mais le plus important à mes yeux, c’est qu’il met en évidence à quel point cette nuit du 4 août et les évènements qui l’ont concrétisée, ont reforgé le territoire du royaume de France en une nation une et indivisible. Tout cela est encore balbutiant, évidemment, mais il faut un début à tout.

En conclusion, c’était une lecture intelligente, bien écrite et salvatrice, et je n’ai pas parlé de tout ce que je voulais parler. Ce livre embrasse tellement l’horizon révolutionnaire qu’il en est vaste.

Publicité
6 février 2022

"Le dernier sommeil selon Caravage" de Alain le Ninèze

Le dernier sommeil selon Caravage de Alain le Ninèze

Source: Externe

Résumé :

Mêlant récit romanesque et enquête historique, un auteur raconte l'histoire d'un tableau célèbre.

Lorsqu'il peint La Mort de la Vierge en 1606, Caravage est déjà un artiste célèbre à Rome. Mais son tableau déclenche un énorme scandale. Les religieux du couvent qui le lui ont commandé refusent de l'accrocher dans leur église : en lieu et place d'une Vierge montant au ciel dans la gloire de l'Assomption, le peintre a représenté le cadavre d'une femme. Et le modèle qu'il a pris est le corps d'une prostituée retrouvée noyée dans le Tibre...
Caravage, alors âgé de trente-six ans, est à un tournant de sa vie. Les circonstances vont l'entraîner dans un maelström qui fera de ses quatre dernières années une véritable descente aux enfers.

Mon avis :

J’avais vaguement en cours d’histoire d’art vu des informations sur cette œuvre de Caravage. Je savais que l’Eglise avait refusé ce tableau ne répondant pas à ses canons, l’humanité et la vulgarité mortelle de la Vierge étant trop présentes à son goût. Je me souviens dans le cours, qu’il y avait vaguement été question de ce vide que masque cette grande tenture rouge. Et c’est déjà pas mal.

Mais grâce à Alain de Ninèze, qui est - faut bien le dire - très bien renseigné sur le peintre, la profondeur de l’œuvre comme de l’artiste m’est apparue dans toute sa complexité et sensibilité ; me laissant entrevoir ainsi le lien et la blessure qui unissent l’œuvre au peintre. Du moins si on part du principe que Riccardo Bassani et Fiora Bellini racontent la vérité sur Anna Bianchini en modèle de la Vierge. Car en effet, il semblerait selon ces historiens d’art, que le modèle qui servit pour la représentation de la Sainte Vierge était une prostituée avec qui Caravage a entretenu des liens forts.

Néanmoins, si on découvre dans ces pages la genèse de ce tableau, si on voit dans ces pages un peintre qui peint vite (ça change de Léonard de Vinci !), qui aime à choisir ses modèles dans la rue, un peintre moins imbu de lui-même qu’un Michel-Ange Buonarroti, un peintre avec ses problèmes (et pas des petits !) et son entourage. J’ai pour ma part apprécié davantage le portrait psychologique que l’auteur a dépeint de Caravage grâce à des lettres d’époque. Donnant ainsi, et même si c’est discutable, un fond d’authenticité à ce livre. Certes, le coup du peintre ou de l’artiste torturé, sombre, bourru, qui souffre de la pauvreté ou du quand dira-t-on, et qui  connaît mille problèmes avec la loi, c’est à défaut d’être éculé déjà bien connu. Mais le fait est que c’est bien la vie de Caravage, donc on ne peut pas en vouloir à l’auteur de ne pas faire dans l’originalité, surtout que l’écriture ne rattrape même pas ce point. Cependant, il faut bien admettre que sans cela le livre serait passé à côté de l’œuvre et de l’artiste avec un coeur qui bat. L’auteur ne partageant de surcroît que le minimum, laissant au portrait de l’artiste ce que l’histoire a de silence.

Outre Caravage, soulignons aussi la grande érudition d’Alain le Ninèze qui nous partage son savoir par des petites notes en bas de page mais aussi par le décor et les informations glissaient çà et là dans les paragraphes. Finalement on en apprend autant sur Caravage que sur Rome en ce temps.

En résumé, c'était un livre court à l'écriture pas si fantastique, mais pour tout ce que l'on découvre il vaut la peine d'être lu.

Editions Atelier Henry Dougier.

Publicité
Flûte de Paon / Livre-sse livresque
Flûte de Paon / Livre-sse livresque
Publicité